Face à la pénurie chronique de personnel qualifié dans le secteur de la santé et des services sociaux, l’Allemagne intensifie ses efforts de recrutement à l’international, avec un intérêt particulier pour les soignants et aides sociaux marocains. Plusieurs associations et organisations, en charge de la gestion de maisons de retraite à travers le pays, ont lancé une série de projets et d’initiatives visant à attirer des profils marocains formés, en leur proposant des perspectives d’intégration professionnelle attractives au sein du système sanitaire et social allemand.
Parmi ces initiatives figure un projet pilote de recrutement lancé par la branche locale de l’association Caritas, rattachée à l’Église catholique, dans la région de Rhein-Sieg, spécialisée dans l’accompagnement des personnes âgées. Ce projet en est actuellement à sa troisième promotion de soignants marocains. Ceux-ci suivent une formation au sein de plusieurs maisons de retraite et établissements hospitaliers de la région, comme l’a confirmé Dennis Buncke, directeur de la maison de retraite Haus Elisabeth, dans une déclaration à des médias locaux.
« Le nombre de candidatures pour travailler dans les maisons de retraite et certains hôpitaux a chuté de manière alarmante ces dernières années. Il nous est même arrivé, certaines années, de ne recevoir quasiment aucune demande », déplore-t-il. Toutefois, la situation a évolué : « Nous avons aujourd’hui plusieurs stagiaires répartis entre deux établissements de soins pour personnes âgées gérés par l’association, à Niederkassel et Hennef. Parmi eux, 18 sont originaires du Maroc, dans le cadre d’un partenariat spécifique ».
Selon Buncke, l’association Caritas travaille en étroite collaboration avec des écoles de langue allemande basées au Maroc. Une délégation s’est rendue dans le Royaume début 2023 afin de mener des entretiens de sélection dans le cadre de ce projet. « La première promotion de stagiaires marocains sélectionnés est arrivée en Allemagne dès la première année de lancement du programme. Aujourd’hui, nous en sommes à la troisième promotion, dont la formation a débuté il y a quatre mois », explique-t-il.
Un infirmier marocain participant à cette initiative a témoigné auprès de la presse allemande, en notant que « les perspectives d’emploi dans le domaine infirmier sont limitées au Maroc ». Il ajoute qu’en plus, « les salaires sont nettement inférieurs à ceux pratiqués en Allemagne ».
« Au Maroc, un infirmier perçoit un salaire mensuel compris entre 500 et 600 euros. Tandis qu’en Allemagne, un diplômé du programme Caritas touche environ 3.550 euros par mois dès sa première année d’exercice. Pendant la formation, la rémunération oscille entre 1.524 et 1.687 euros par mois », explique-t-il.
Une étude du Leibniz-Institut für Wirtschaftsforschung (Institut Leibniz de recherche économique) a mis en lumière les conséquences de cette pénurie de personnel en Allemagne. Selon ses conclusions, le manque de soignants qualifiés entraîne une augmentation de 40 % de la durée moyenne de séjour des patients âgés à l’hôpital. De nombreuses maisons de retraite se trouvent ainsi dans l’incapacité d’accueillir de nouveaux résidents, faute de pouvoir respecter le minimum légal requis en termes d’effectifs.
Dans un entretien accordé auparavant à un magazine allemand, Susanne Baumgart, directrice de l’Institut Goethe à Rabat, a observé un intérêt croissant des jeunes Marocains pour l’émigration vers l’Allemagne. « L’émigration à des fins professionnelles est une tradition solidement ancrée au Maroc, où environ 8,3 % du PIB provient des transferts de fonds des Marocains résidant à l’étranger », a-t-elle indiqué.
Elle rappelle que l’Allemagne et le Maroc ont signé il y a 55 ans un accord bilatéral de recrutement de main-d’œuvre, notamment pour alimenter l’industrie métallurgique dans des régions comme Hanau et Offenbach. « Ce qui change aujourd’hui, c’est l’élargissement des secteurs ciblés, avec une ouverture vers l’hôtellerie, la restauration et les soins de santé », souligne-t-elle.
Elle précise toutefois que, « ce qui fait cruellement défaut au Maroc, ce sont les médecins, mais aussi les infirmiers spécialisés. Le pays a besoin de ressources humaines qualifiées pour faire fonctionner les nombreux hôpitaux en construction. Parallèlement, le taux de chômage chez les diplômés est élevé. Dans ce contexte, toute opportunité de formation ou de travail à l’étranger est très bien accueillie ».
Du côté allemand, les chiffres confirment l’ampleur du phénomène. Selon les données fournies par l’Agence fédérale pour l’emploi, le secteur infirmier souffre d’un déficit structurel de personnel dû aux évolutions démographiques. Vanessa Ahuja, membre du directoire en charge des affaires internationales au sein de l’agence, a reconnu : « Sans l’apport du personnel infirmier étranger, le secteur aurait probablement implosé. Aujourd’hui, près d’un quart des salariés travaillant dans les maisons de retraite ne possèdent pas la nationalité allemande ».
Par ailleurs, les mêmes données font état d’une hausse significative du nombre de professionnels de santé arrivés en Allemagne grâce à la loi sur l’immigration des compétences professionnelles, avec 13.000 nouveaux arrivants en 2024 seulement. En revanche, les candidats issus des pays de l’Espace économique européen et de la Suisse sont de moins en moins nombreux, ce qui incite de plus en plus les employeurs allemands à se tourner vers des profils venus de pays hors de l’Union européenne.
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