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Dans la moiteur d’une nuit casablancaise, le ciel s’est fait écrin pour accueillir un moment suspendu. Ce 11 juillet, dans le cadre somptueux de l’hippodrome d’Anfa, la 18e édition de Jazzablanca a offert à son public une traversée hors du temps, menée par l’un des musiciens les plus singuliers de notre époque : Ibrahim Maalouf.
Trompettiste, compositeur, arrangeur, passeur d’âmes… les étiquettes se bousculent, mais aucune ne rend pleinement justice à cet artiste inclassable. Avec sa trompette microtonale à quatre pistons – invention héritée de son père Nassim Maalouf – il fait vibrer les interstices, joue entre les notes, explore les failles. Il ne joue pas pour séduire ; il joue pour dire. Dire les exils, les héritages, les douleurs sourdes et les élans lumineux.
Dès les premières minutes du concert, une chose devient évidente : on n’assistera pas à un simple récital de jazz. Car Maalouf est de ceux qui mélangent les genres comme d’autres brassent les cartes du destin. Jazz bien sûr, mais aussi rock électrique, funk nerveux, envolées orientales et grooves afro-caribéens… Chaque morceau est un patchwork d’influences, mais cousu avec une élégance rare. Il ne s’agit pas de juxtaposer, mais de fondre, d’unifier, de créer un langage propre.
Sur scène, il est entouré de musiciens à la présence scénique affirmée, mais toujours au service de la narration collective. Le batteur martèle des rythmes telluriques, presque tribaux. Le guitariste cisèle des riffs à la frontière du rock progressif et du blues saharien. Les claviers, eux, dessinent des nappes vaporeuses, comme un souffle qui lie le tout. Et puis, au centre, il y a cette trompette — lumineuse, rugissante, parfois douce comme un soupir d’enfant, parfois violente comme une rafale en pleine mer.
Le concert alterne entre moments de tension dramatique et plages de grâce absolue. Lorsqu’il entame True Sorry, le public retient son souffle. L’intensité est palpable, presque physique. Puis vient Beirut, hymne déchirant à une ville toujours à la lisière du chaos et de la résilience. La musique devient alors un acte politique, une mémoire vive, un cri d’amour pour un pays mille fois fracturé mais jamais éteint.
Ibrahim Maalouf ne parle que peu entre les morceaux. Mais quand il le fait, c’est pour rappeler l’importance du lien. Le lien entre les peuples, les musiques, les âmes. Il évoque Casablanca avec chaleur, remercie le public marocain pour sa fidélité, et rend hommage aux autres artistes présents ce soir-là.
Parmi eux, deux femmes aux univers singuliers ont marqué la soirée. La Marocaine Oum, tout en spiritualité et élégance avec sa tenue orange, a puisé dans les profondeurs du répertoire hassani pour tisser un chant du désert, aérien et ancré à la fois. Son set, sobre et puissant, a posé les fondations d’un dialogue entre tradition et modernité. Quant à Dominique Fils-Aimé, la Canadienne à la voix de velours, elle a enveloppé la scène de sa soul introspective, chantant les cicatrices de l’Histoire noire avec une intensité retenue, mais bouleversante.
Mais c’est bien Maalouf qui a refermé cette nuit magique. Et lorsqu’il s’est lancé dans une improvisation fiévreuse, presque chamanique, portée par un beat tribal et une lumière rouge sang, on a senti le public entrer en transe. Pas une transe hystérique, non — une transe lucide, presque méditative. Comme si chacun, au fond de soi, reconnaissait quelque chose dans cette musique sans frontière : un bout de mémoire, une douleur ancienne, une joie oubliée.
Au terme de près de deux heures de performance, le silence qui a suivi la dernière note était presque religieux. Casablanca ne voulait pas que cela s’arrête. Et peut-être que cela ne s’est jamais vraiment arrêté : dans les oreilles, les cœurs, les souffles… il reste encore des bribes d’harmonies, des éclats de cuivre, des frissons à apprivoiser. Ibrahim Maalouf ne donne pas des concerts. Il ouvre des portes. Et ce soir-là, à Jazzablanca, il en a ouvert une vers un ailleurs commun, où la musique est langue maternelle, et l’émotion, la seule patrie.
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