Chaque été, la mer attire et fascine, mais elle inquiète aussi. À mesure que les températures grimpent, les noyades se multiplient sur les plages marocaines, exposant les failles des dispositifs de sécurité et interpellant les autorités sur la protection des estivants. Le récit d’un drame évité de justesse à Tanger relance le débat.
Le bleu scintillant de la mer qui s’étend à perte de vue, la chaleur qui monte doucement au fil des heures, transformant l’air en caresse tiède, les cris joyeux des enfants qui courent vers les vagues et le sable fin qui brûle délicieusement les pieds nus… L’été s’installe au Maroc comme une promesse de liberté retrouvée, un répit bienvenu après de longs mois de labeur.
Mais, chaque année, cette saison dorée se teinte aussi d’ombres tragiques qui viennent assombrir l’insouciance des vacances. Avec l’arrivée des grandes chaleurs et l’afflux massif de vacanciers venus de tout le royaume sur les plages, les cas de noyade se multiplient de façon alarmante. Derrière chaque incident, une même question lancinante resurgit : nos plages sont-elles suffisamment sûres pour accueillir des millions de baigneurs ?
Au nord du pays, la baie de Tanger déploie ses charmes et attire des milliers de visiteurs chaque week-end. Entre ses eaux turquoise et ses criques secrètes, elle semble incarner le paradis estival. Pourtant, le week-end dernier, un drame a été évité de justesse dans cette carte postale apparemment idyllique.
Ali ( nom d’emprunt), 25 ans, originaire de Fès, était venu passer quelques jours de détente avec ses amis d’enfance. Mais ce qui devait être un moment de bonheur simple a failli se transformer en tragédie. Il raconte, la voix encore tremblante d’émotion, les mains qui tremblent légèrement lorsqu’il évoque cette matinée qui aurait pu être sa dernière : « Je nageais un peu plus loin que d’habitude, je pensais que c’était sans danger. L’eau était si belle, si claire… J’avais l’impression de pouvoir toucher le fond. Tout d’un coup, un courant très fort, invisible, m’a tiré vers le large. J’ai senti mes forces qui m’abandonnaient. J’ai paniqué, j’ai crié de toutes mes forces, mais avec le bruit des vagues et le vent, personne n’entendait mes appels au secours. J’ai cru que c’était fini, que j’allais laisser ma famille dans la peine. C’est un autre baigneur, un homme d’une quarantaine d’années que je ne connaissais pas, qui m’a attrapé par le bras et m’a ramené vers le rivage. Sans lui, je ne serais pas là pour vous parler aujourd’hui ».
L’incident, passé inaperçu pour la plupart des vacanciers qui continuaient à bronzer tranquillement sur le sable, illustre pourtant un problème récurrent et inquiétant : l’insuffisance criante des dispositifs de surveillance et de prévention. Sur certaines plages, même les plus fréquentées, les maîtres-nageurs se font rares, parfois complètement absents. Les panneaux d’avertissement sont souvent vieillissants, décolorés par le soleil et les embruns, peu visibles ou tout simplement inexistants.
En 2022, la Direction générale de la Protection civile (DGPC) a enregistré 9 482 noyades entre le 1ᵉʳ mai et le 15 juillet, avec 32 décès. Plus largement, selon des bilans similaires, entre 11 000 et 11 262 cas de noyade ont été signalés chaque été (jusqu’à mi-juillet) en 2021, avec environ 40 décès . À l’échelle annuelle, le Maroc enregistre en moyenne 70 décès par noyade. Des chiffres qui font froid au dos et qui ne représentent que la partie visible de l’iceberg, car de nombreux incidents mineurs ne sont pas toujours rapportés. La plupart de ces drames se produisent sur des plages non surveillées, où les vacanciers se retrouvent livrés à eux-mêmes face aux caprices de l’océan.
Derrière ces statistiques froides, il y a des familles brisées à jamais, des parents qui ont perdu un enfant, des vacances de rêve transformées en cauchemar éternel. Le phénomène ne cesse d’inquiéter les associations de sauveteurs et les collectifs citoyens qui se mobilisent chaque été. Ces derniers réclament un plan d’action plus ambitieux, une véritable stratégie nationale pour enrayer cette hécatombe silencieuse qui endeuille trop de familles.
Les autorités locales, de leur côté, assurent qu’un effort considérable est consenti chaque année pour renforcer la sécurité sur les zones les plus fréquentées. Des budgets sont alloués, des équipes formées, des campagnes de sensibilisation organisées. Mais la réalité du terrain reste complexe et souvent décevante.
Certaines communes, notamment les plus petites, ne disposent tout simplement pas des budgets nécessaires pour recruter un nombre suffisant de maîtres-nageurs professionnels. Les sauveteurs saisonniers, souvent bénévoles animés par leur seul sens civique, manquent cruellement d’équipement : jumelles pour surveiller les zones éloignées, embarcations légères pour les interventions rapides, bouées de sauvetage en nombre suffisant, matériel de réanimation.
Une responsabilité partagée ? De nombreux estivants, grisés par l’atmosphère de détente et la beauté des lieux, ignorent les règles élémentaires de sécurité. Ils se baignent après les heures de surveillance, quand les sauveteurs ont terminé leur service, s’aventurent au-delà des zones balisées par des bouées de sécurité, ou sous-estiment dangereusement la force des marées et des courants.
Certains, venus de régions de l’intérieur du pays, n’ont qu’une connaissance limitée de la mer et de ses dangers. D’autres, habitués aux piscines municipales, pensent naïvement que l’océan obéit aux mêmes règles que ces bassins artificiels.
Alors que la saison balnéaire ne fait que commencer et que des millions de Marocains s’apprêtent à rejoindre les côtes pour leurs congés, les drames évités de justesse comme celui d’Ali rappellent l’urgence d’une réflexion collective et d’actions concrètes.
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