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on - 11 hours ago -
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Monsieur le Président Trump,
Vous avez réussi l’exploit rare de rallier les applaudissements de l’extrême droite la plus fruste tout en suscitant l’indignation de la gauche libérale la plus vertueuse. Permettez-moi de vous en féliciter : peu de dirigeants peuvent se vanter de fédérer deux camps opposés par la seule force de leurs décrets migratoires.
Je tiens d’abord à exprimer notre gratitude envers nos amis de la gauche progressiste. Leur soutien est réel et souvent réconfortant. Mais il faut bien le dire : ce soutien, sous ses airs compatissants, devient parfois profondément dérangeant. Car il repose trop souvent sur une idée fausse, presque condescendante : celle que nous expulser, nous renvoyer « chez nous », équivaudrait pour nous à une condamnation à mort sociale et affective — que nous serions, sans l’Amérique, des âmes perdues dans un désert sans espoir, sans confort, sans vie. Cette vision révèle une méconnaissance de ce que nous sommes : des êtres complets, riches d’histoires, de racines et de foyers bien réels avant même de poser un pied sur votre sol.
Oui, nous avons construit ici des existences solides. Nos enfants y sont nés, nous y avons noué des amitiés profondes, fondé des communautés solidaires — souvent avec d’autres immigrés — et préparé l’avenir de nos familles. Nous sommes ici par choix, pas par hasard. Mais n’oublions pas : nous venons de quelque part.
Au Sénégal, société encore marquée par un patriarcat coriace, une femme menacée d’expulsion par son mari lui rappelle volontiers qu’il ne l’a pas trouvée sur un trottoir : c’est dans la maison de ses parents qu’il est venu demander sa main, et si un jour il la chasse, elle sait exactement où retourner. Pour nous, c’est pareil : si vous nous mettez à la porte, nous ne disparaîtrons pas. Nous referons nos valises, nous pleurerons peut-être nos liens d’ici, mais nous retrouverons un toit, une langue, une table autour de laquelle partager un vrai repas.
Car soyons clairs : notre relation avec les États-Unis n’est pas une faveur que vous nous feriez, c’est un pacte mutuel. Nous avons donné à ce pays autant qu’il nous a donné — parfois plus, quand on pense à ce que vous récupérez sous forme de taxes, d’amendes et de factures médicales astronomiques. Si demain vous fermez vos portes, nous perdrons des amis précieux, mais certainement pas notre dignité ni notre capacité à reconstruire ailleurs.
Et parlons franchement : votre pays n’est pas le paradis infaillible que vos séries télé et vos blockbusters ont vendu au monde. Vous nous avez attirés avec Hollywood et ses rêves formatés ; nous sommes venus, nous avons vu — et nous avons découvert des hivers atroces, une nourriture souvent fade et une facture pour chaque éternuement. Nous sommes installés, certes, mais pas hypnotisés au point de croire qu’il n’existe pas d’alternative au rêve américain.
Ce que nous regretterons, Monsieur le Président, ce n’est pas votre climat capricieux ni vos dollars qu’on nous reprend à la moindre occasion. Ce que nous laisserons derrière, c’est le véritable trésor de ce pays : le monde qui vit en son sein. L’ami bulgare qui nous prépare ses boulettes discrètement savoureuses. La sœur hindoue avec qui nous réinventons Thanksgiving autour d’un plat végétarien. Les frères et sœurs jamaïcains qui veillent sur nos enfants comme sur les leurs. L’ami juif avec qui nous débattons des limites de votre combat stérile contre le « wokisme ». Le frère nigérian qui nous a initiés au billard. L’ami chilien qui a pris soin de mes enfants quand j’étais débordé.
Voilà l’Amérique que nous aimons — celle que vous menacez par ignorance et orgueil. Vous avez hérité par accident de ce patchwork vivant, et vous le démantelez comme un mauvais cuisinier saccage la recette d’un aïeul.
Alors oui, expulsez-nous si cela vous chante. Mais sachez une chose : nous partirons entiers, forts de nos histoires, de nos épices, de nos rires et de nos chansons. Et vous, vous resterez avec vos hamburgers trop gras, et vos téléréalités interminables.
Bien à vous et sans rancune,un enfant du monde,que vous préférez voir partir…
L’article Lettre au Président Trump par CHEIKH THIAM est apparu en premier sur Sud Quotidien.