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Le lundi 4 août 2025, Mme Yang Dongning, vice-présidente de l’Export-Import Bank of China (Eximbank), a été reçue en audience officielle par le ministre sénégalais de l’Économie, du Plan et de la Coopération, M. Abdourahmane Sarr. Derrière le protocole institutionnel de cette rencontre se profilent des enjeux géopolitiques majeurs, révélateurs des recompositions profondes qui redessinent aujourd’hui les alliances économiques du continent africain.
Dans un contexte où l’Afrique cherche à s’émanciper des conditionnalités imposées par les institutions de Bretton Woods, cette visite illustre la montée en puissance d’une diplomatie Sud-Sud, en quête d’un nouvel équilibre, à l’abri des rapports de dépendance traditionnels.
Trop souvent perçue comme une simple banque d’exportation, la China Eximbank constitue en réalité l’un des instruments clés de la stratégie d’expansion économique de Pékin. Depuis sa création en 1994, elle accompagne les entreprises chinoises à l’international et finance des projets d’infrastructures stratégiques dans les pays en développement, notamment dans les secteurs de l’énergie, des transports et des télécommunications.
Contrairement aux bailleurs occidentaux, l’Eximbank accorde ses financements avec des conditionnalités politiques minimales. Cependant, cette approche pragmatique s’accompagne de pratiques contestées : manque de transparence des contrats, clauses strictes en cas de défaut de paiement, et exécution des projets par des entreprises chinoises, au détriment des économies locales.
LE SENEGAL, UN PIVOT GEOSTRATEGIQUE POUR PEKIN
La visite de Mme Yang Dongning à Dakar intervient dans un contexte politique crucial. L’élection, en mars 2024, du tandem Dio Mefei – Ousmane Sonko a acté une volonté de rupture avec les dépendances historiques vis-à-vis des puissances occidentales. Le nouvel exécutif entend repenser les partenariats internationaux en priorisant la transformation locale des ressources, l’industrialisation nationale et la souveraineté économique.
Pour la Chine, cette réorientation diplomatique constitue une opportunité stratégique. Le Sénégal offre une plateforme logistique de premier plan, grâce à sa façade atlantique, une stabilité politique relative dans une région sous tension, et une volonté affichée d’accélérer les investissements dans les infrastructures, l’énergie, l’agriculture et les technologies numériques.
PROJETS A L’ETUDE : DES AMBITIONS INDUSTRIELLES A FORT ENJEU SOUVERAIN
La mission de la délégation chinoise avait pour objectif d’identifier les projets structurants susceptibles d’être financés par la China Eximbank à court et moyen terme. Plusieurs axes prioritaires ont été évoqués au cours des échanges.
Dans le domaine des infrastructures de transport, les discussions ont porté sur l’extension des corridors ferroviaires en direction du Mali, ainsi que sur la modernisation du réseau routier national et des plateformes logistiques.
Le secteur énergétique constitue également un levier stratégique, avec des projets relatifs à la construction de barrages hydroélectriques, au développement de centrales hybrides, à l’électrification rurale, ainsi qu’à l’interconnexion des réseaux électriques à l’échelle sous-régionale.
Concernant l’agriculture et l’agro-industrie, les priorités identifiées incluent la création de chaînes de transformation locale, la mécanisation des filières agricoles, ainsi que le développement d’infrastructures d’irrigation destinées à renforcer la productivité et la résilience du secteur.
Enfin, le numérique figure parmi les axes majeurs de cette coopération, à travers le déploiement d’un backbone national, la généralisation de la couverture 5G et la mise en place d’équipements stratégiques visant à moderniser les infrastructures technologiques du pays.
L’ensemble de ces projets s’inscrit dans le cadre du Plan de relance économique présenté par le gouvernement sénégalais en juillet 2025, pour la mise en œuvre duquel les autorités entendent solliciter des financements concessionnels à taux préférentiels auprès de la China Eximbank.
VIGILANCE REQUISE POUR FINANCEMENTS SOUS CONDITIONS
Cependant, ces opportunités de financement s’accompagnent de conditions incontournables. La Chine impose l’implication de ses entreprises dans la mise en œuvre des projets, via des joint-ventures ou des partenariats public-privé (PPP). Si cette coopération offre au Sénégal de nouvelles marges de manœuvre financière, elle n’est pas sans risque.
Les précédents de la diplomatie de la dette, en Zambie, au Sri Lanka ou au Kenya, rappellent que des projets mal encadrés peuvent conduire à une perte de souveraineté sur des actifs stratégiques. L’exemple du port sri-lankais de Hambantota, cédé pour 99 ans à une société chinoise en raison de dettes impayées, reste un cas d’école que le Sénégal ne peut ignorer.
Pour prévenir de tels écueils, le gouvernement sénégalais devra poser des exigences fermes : viabilité économique des projets, rentabilité à long terme, intégration dans une stratégie d’autonomisation économique, respect du contenu local et transfert effectif de compétences.
VERS UNE DIPLOMATIE SUD-SUD LUCIDE ET EXIGEANTE
Cette visite s’inscrit dans une tendance de fond : la multiplication des approches bilatérales entre les États africains et les grandes puissances économiques du Sud (Chine, Inde, Turquie, Émirats Arabes Unis). Toutefois, cette transition ne doit pas se traduire par un simple remplacement d’une tutelle par une autre. Elle exige des États africains, et du Sénégal en particulier, la définition de standards de coopération exigeants : transparence dans la négociation des contrats, reddition des comptes, et vision panafricaine de la complémentarité économique.
Le Sénégal, en tant que pivot régional au sein de l’UEMOA et laboratoire d’un modèle souverainiste, a la responsabilité de fixer des règles du jeu nouvelles dans ses partenariats stratégiques. Il ne s’agit pas d’accepter des financements à tout prix, mais de les orienter vers des projets créateurs de valeur locale, porteurs de transformation structurelle et garants d’un développement endogène.
UNE FENETRE D’OPPORTUNITE SOUS CONDITIONS
La venue de la China Eximbank à Dakar représente une fenêtre d’opportunité pour financer des projets structurants hors des schémas traditionnels d’ingérence occidentale. Cependant, cette opportunité ne deviendra vertueuse que si le Sénégal conserve l’initiative, la lucidité et l’ambition d’en faire un levier de souveraineté économique. Dans cette phase de recomposition géopolitique, les partenariats Sud-Sud ne doivent pas reproduire les logiques de dépendance du passé. C’est au Sénégal de définir les conditions de la coopération, de négocier avec rigueur et d’imposer des standards de transparence à la hauteur de ses ambitions souverainistes. Quand bien même la Chine se reconnait un partenaire très ouvert.
Jean Pierre MALOU
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