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Sans doute, l’espace du jeu et, plus singulièrement, celui du football est l’un des champs où la rationalité a du mal à s’accommoder avec la passion.
Des facteurs, aussi complexes que variés, allant de la chance à la forme physique, de l’opportunisme à l’opportunité, du sens de la créativité à la culture tactique, s’imbriquent pour sanctionner un match par un résultat qui, parfois, laisse coi plus d’un expert du ballon rond.
Le cas échéant, se formulent des commentaires qui au-delà de leur apparente banalité, reproduisent dans le monde sportif la hiérarchie des humanités. Dans cette configuration, l’attente des grandes nations du football est de voir leurs adversaires des zones périphériques déployer juste un effort suffisamment généreux pour imprimer à la rencontre cette frayeur qui garantit sa saveur.
Dans ce scenario, l’équipe, venant du Sud, aura crânement joué son rôle en poussant ses résistances jusqu’ aux ultimes minutes avant de subir la correctionnelle.
Cette disposition d’esprit, qui n’a sans doute pas intégré ce précieux enseignement du philosophe allemand, Nietzche, selon lequel ce n’est pas le doute mais la certitude qui rend fou, explique la déraison qui prévaut chaque fois qu’une « grande nation du football » se fait avoir par des adversaires de calibre négligeable.
À ce sujet, le Mondial asiatique de 2002 nous offre deux illustrations dignes d’intérêt. La première est ce tsunami qui a frappé le monde du football avec la victoire « d’insignifiants » Lions du Sénégal en match d’ouverture. Cette défaite, aux accents surréalistes, était d’autant plus traumatisante que même les commentateurs les plus sérieux ne donnaient la moindre chance aux « Africains ». Et la certitude de la victoire ne faisait aucun doute car la plupart des joueurs évoluaient dans la ligue française où ils jouaient les seconds rôles. Significative à ce sujet était la situation déplorable du gardien de but sénégalais, Tony Sylva. Il restait désespérément le numéro 2 de l’équipe de Monaco, devant Barthez, le portier des Bleus !
La traumatisante défaite des hommes de Roger Lemerre devant l’équipe entrainée par l’illustre inconnu, le Français Bruno Metsu, avait donné à certains le sentiment qu’une main invisible avait scellé le sort de cette rencontre. Aussi, laissaient-ils entendre que le but de Pape Buuba Diop « était bizarre ». Euphémisme ne saurait être plus explicite pour insinuer l’implication mystique des…marabouts d’Afrique !
La seconde illustration est la défaite « inattendue » de l’Italie, plusieurs fois championne du monde et devant la « faible équipe de la Corée. En plus des récriminations récurrentes sur l’arbitrage, l’acharnement contre Ahn Jung-hwan qui aurait commis le crime d’empêcher Squadra azzurra de franchir le cap des huitièmes de final, a débordé l’anecdotique pour renseigner sur toute l’incongruence du jugement ethnocentriste. N’y allant pas avec le dos de la cuiller, le président l’AC Perugia dont il était sociétaire écrira sans coup férir : « Je n’ai pas l’intention de payer le salaire de quelqu’un qui a ruiné le football italien… Quand il est arrivé, c’était une brebis égarée qui n’avait même pas de quoi se payer un sandwich, il est devenu riche sans fournir de prestations exceptionnelles ».
Ainsi, au lieu de saluer en toute sportivité la performance de son joueur qui a marqué le but en or après avoir raté un penalty dans le même match il a pris le parti de le poursuivre pour délit de…patriotisme. Héros dans son propre pays pour l’avoir qualifié pour la première fois de son histoire, il sera pour cette même raison l’objet d’une chasse aux sorcières en Italie !
Près d’un quart de siècle après le mondial asiatique, malgré la multiplication des rencontres sportives et la contribution des talentueux joueurs africains au rayonnement du football européen, l’imaginaire estampillé par la logique des échanges inégaux perdure. En attestent certains commentaires inspirés par la défaite sur leurs propres terres des Three Lions d’Angleterre face aux Lions du Sénégal.
Cette rencontre amicale sanctionnée par ce que la presse britannique a qualifié « d’humiliation » a suscité moult justifications. Ce faisant, l’on a épilogué sur les conditions physiques des joueurs, sur le caractère expérimental de la défense anglaise et sur le manque d’appropriation des nouvelles idées de Thomas Tuchel. Et pour couronner le tout : les Anglais auraient remporté le match si l’arbitre française, Stéphanie Frappart, n’avait pas pris la malencontreuse décision d’annuler le but égalisateur signé Jude Bellingham.
L’on pourrait faire observer que que le coach sénégalais, Pape Thiaw, sans se présenter en victime expiatoire, n’en était pas moins lui aussi dans une phase de reconstruction de son équipe privée de Sadio Mané. Mais le plus fondamental est que, même conscients de leurs limites, les Anglais étaient convaincus qu’ils allaient délivrer juste un match d’exhibition. Pour preuve, ce propos de Bukayo Saka dont l’intérêt est qu’il est révélateur de tout un état d’esprit : « battre le Sénégal tout en continuant de garder notre cage inviolée !»
Au demeurant, au-delà de ces justifications, plus cocasse est cette réaction de Thomas Tuchel : « J ’ai pu entendre leur réaction. Je me suis demandé : « Est-ce que nous aurions célébré de la même manière ? Est-ce que j’aurais été le premier à foncer dans le vestiaire en hurlant ‘ENGLAND’ en frappant sur les murs ?… Ce n’est qu’un match amical… ».
Cet agacement de l’entraineur allemand des Anglais, ponctué d’un mépris que révèle le mot « hurler », édifie largement sur son ignorance des relations tumultueuses entre l’Occident et l’Afrique. Les Anglais n’auraient ni « hurlé » encore moins « foncé dans les « vestiaires » en cas de succès, car ce serait un non-évènement au regard du fait qu’aucune équipe africaine n’a jamais battu les Three Lions.
Une maîtrise, même rudimentaire, de l’histoire lui aurait permis de comprendre pourquoi ces jeunes étaient vifs, si virevoltant avec un engagement jamais pris à défaut durant 90 bonnes minutes. Leur contentieux avec l’Occident semblait suffisamment consistant pour que le jeu soit d’un enjeu autrement plus complexe.
Plus prosaïquement, un match contre une nation européenne déborde toujours la dimension sportive pour entrer dans le cadre de la lutte pour la reconnaissance. Pour preuve, au lendemain de de la victoire du Sénégal sur la Pologne en 2028, Aliou Cissé fera remarquer que ce succès avant bien moins de saveur que celui enregistré contre la France lors de la rencontre évoquée plus haut. Cette réaction de l’entraineur sénégalais traduit bien le ressenti d’un émigré dont le pays a été colonisé par la France !
La réalité de cette lutte pour la reconnaissance est telle que toute équipe africaine qui joue contre une européenne est ipso facto supportée par tout le continent.
Certes, l’Angleterre n’avait pas colonisé le Sénégal mais elle n’en était en pas moins une puissance occidentale qui a remporté toutes ses 21 rencontres avec un pays africain. Il s’y ajoute que non seulement elle avait empêché le Sénégal d’atteindre les quarts de final en 2022, mais elle avait brisé le rêve des Africains à accéder pour la première fois en demi-finale en sortant, en 1990, la belle équipe du Cameroun.
Et de nos jours, les avancées dans le football africain sont telles que, au-delà de la lutte pour la reconnaissance, l’ambition est de rivaliser avec n’importe quelle nation. Partant, de profondes mutations sont en train d’ébranler bien des certitudes ! Et la Coupe du monde des clubs en cours pourrait en donner une parfaite illustration ! Ayant acquis une forte expérience dans les stades européens et dopés par les remarquables performances des pays comme le Cameroun, le Nigeria, le Ghana, le Sénégal et surtout le Maroc, les footballeurs du continent sont de plus en plus convaincus que la balle est ronde pour tout le monde.
Il se donne alors à lire que, en dépit des mirages et fantasmes qui enveloppent le monde du football, il reste profondément dans un univers dont il reproduit la quintessence des contradictions qui le structurent. Ainsi, les nations africaines, asiatiques comme sud-américaines sont confrontées à l’idéologie dominante qui charrie le complexe de supériorité. Et les réactions sur les champs sportifs, en général et sur les terrains de football, en particulier, pour être positives, ne sauraient suffire.
La véritable reconnaissance, qui ruine toute forme de complexe, suppose un recentrage des priorités. Quand, dans une société, la frange la plus vive reste convaincue que le sport et l’émigration constituent les seules voies de salut, tout pari sur l’avenir est hypothéqué. L’impératif est de promouvoir l’éducation civique, de diffuser les arts et la science afin de créer les conditions d’une reprise en main de l’initiative historique. Seul cet impératif est à même de valoriser la confiance en soi en incitant du coup les Africains à, pour reprendre Ruellan, « valoriser ce qu’ils sont et ce qu’ils ont ».
Alpha Amadou Sy auteur, entre autres, de « La CAN 2019 : De l’accueil euphorique des Lions : lecture politique d’un fait polémique » Dakar », éditions l’harmattan, 2019.
L’article De l’idéologie sous-jacente à une certaine lecture de la défaite des Three Lions devant les Lions du Sénégal est apparu en premier sur Sud Quotidien.