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C’est sous le signe de « Plaisir et délectations partagées », texte médiéval d’Abou Hayyan Attwhidi, mis sur scène par feu Taïeb Seddiki, que j’ai entamé ma participation à la 1ère édition du «Printemps des Regraga », tenue à la Cité des Alizées, Essaouira, les 29 et 30 Avril 2025.
Les organisateurs, des « Hommes de bonne volonté » ont manifestement mis les petits plats dans les grands afin de mener à bien ces journées de réflexion de haut vol, avec la participation de communicants venus de divers horizons : de Kanu, au Nigéria, jusqu’au représentant du culte musulman en Allemagne, en passant par nos amis les Mourides, du Sénégal.
Nous étions réunis pour partager différents savoirs autour d’un rite légendaire au Maroc et ailleurs, le « Daour des Regraga » ou Tournée printanière d’un collectif de confréries réunies sous la bannière des Regraga, groupement alliant des fragments des tribus Chiadama et Haha, toutes les deux généalogiquement descendantes de la grande confédération amazighe des Masmouda.
A ce stade, il s’agit d’un pan entier de l’histoire du Maroc, voire aussi de son présent et probablement de son futur.
Côté cour, le Daour des Regraga puise son origine à partir d’ un narratif dont la véracité est sujette au doute. En effet, sept notables berbères se seraient déplacés jusqu’à Médine, du vivant du prophète de l’Islam. L’entretien, en berbère d’après la légende, s’était soldé par une mission conférée aux 7 désormais canonisés saints par la ferveur populaire, afin d’ islamiser leur territoire et surtout de maintenir la vraie foi, telle que théorisée, par la suite, par Ibnou Aachir comme « Doctrine d’Al Achaari et Fiqh de Malek » suivant la voie soufie salutaire d’Al Jouneid
« ﻋﻘﻴﺪﺓﺍﻷﺷﻌﺮﻲﻭﻓﻘﻪﻣﺎﻟﻚﻭﻃﺮﻳﻖﺍﻟﺠﻨﻴﺪﺍﻟﺴﺎﻟﻚ »
Cette fantastique narration cimente toute la communauté et continue à avoir un immense écho chez le petit peuple des Chiadma et Haha.
La geste épique relate aussi le combat pour contrer des envahisseurs, à partir de nos Albigeois et nos Cathares, alias les hérétiques des Bourghouatas, en sus des Portugais, voire de l’Autorité du Sultan, le cas échéant. Le tempérament farouche de ces guerriers qui s’est transcendé un jour à Jbel L’hdid (Montagne du Fer) a été célébré depuis longtemps dans la chanson populaire marocaine Aïta, plus précisément dans la forme appelée le « Berwal des Chiadma » .
Ainsi, tels Roland, « Les Regraga libres et seigneurs porteront toujours secours à quiconque en a besoin » ; ﺭﯕﺮﺍﯕﺍﻟﺤﺮﺍﺭﻣﺎﻳﺪﻭﺯﻭﻋﺎﺭ
En outre, l’aura de Saints des Regraga a été tellement préoccupante pour l’Autorité du Makhzen que l’Empire contre-attaque en créant une autre légende pour rééquilibrer les narratifs fut les « sebatou rijal » (les 7 Saints) de Marrakech.
Dans la réalité, le daour est fondamentalement un moussem comprenant au moins deux originalités : nomade dans l’espace (jusqu’à 44 sanctuaires / étapes, en autant de jours, sur presque 460 kms) et fixe dans le calendrier grégorien (commençant à l’équinoxe du printemps), à l’opposé de tous les moussems du Maroc qui se tiennent selon le calendrier de l’Hégire.
Toutefois, au-delà de ce différentiel des paramètres globaux, le Daour assume plusieurs fonctions sous le thème de la « Baraka », concept de grâce englobant tout ce qui est positif, béni à advenir, via la prière, l’injonction, l’intercession des saints aïeux, dans le dessein de favoriser, contre offrandes, l’accomplissement de tout ce qui est désiré et attendu chez le demandeur, allant de la bonne récolte jusqu’à la progéniture .
En résumé, pour le Daour, les principaux thèmes, d’après les quelques rares sources livresques, à savoir les travaux de G. LAPASSADE, A. MANA et A. NAMIR ) sont :
1. Signification culturelle et religieuse : le daour est un phénomène socio-religieux qui mêle spiritualité, communauté et tradition. Il est perçu comme un rite de passage, mettant en avant la liminalité et la régénération de la société, à chaque printemps. Les Regraga transmettent la baraka aux tribus et aux individus, répondant à des besoins à la fois spirituels et pragmatiques.
2. Structure et pratiques : les Regraga sont organisés en 13 confréries rurales, les zaouïas), divisées en deux groupes principaux : la Taïfa, connue pour son indépendance et son rôle de leadership, et la Khaïma, une tente sacrée symbolisant l’unité. Le pèlerinage qui ponctue les étapes comprend des rituels codifiés.
3. Perspectives anthropologiques : en s’appuyant sur les théories de Victor Turner, Claude Lévi-Strauss et Pierre Bourdieu, l’on peut analyser le daour comme un système dynamique de mémoire collective, d’adaptation rituelle et d’équilibre social. Des concepts comme la « communitas », le « bricolage » et l’ »habitus » sont utilisés pour examiner ses fonctions culturelles et sociales.
4. Dimensions agricoles et thérapeutiques : le pèlerinage marque la transition de l’hiver au printemps, symbolisant le renouveau et la fertilité. Les Regraga pratiquent également des rituels de guérison, avec des saints spécifiques associés à la guérison de maladies, mettant en avant l’importance de la niyya (intention / vœu ). Cette pratique a été mise au goût du jour par le sélectionneur du 11 national de foot, lors de l’épopée du Qatar « Dirou Niyya », coach qui s’appelle REGRAGUI…
5. Défis et contexte moderne : le daour reste essentiel, offrant un tourisme cultuel et solidaire pour les membres des Regraga et les visiteurs. Il sert également d’événement commercial et festif, attirant à la fois les locaux et les touristes étrangers.
Ainsi, c’est à partir de ce dernier constat que j’ai présenté ma communication, le 30 avril dernier, afin de répondre à une question ( plutôt marxiste-léniniste !! superflu) : « Que faire ? »
Que faire pour intégrer les composantes du tourisme durable, pour transformer le Daour en attractivité touristique qui puisse garder son essence spirituelle tout en améliorant les conditions de vie des populations des différentes stations.
Il s’agirait, entre autre, d’introduire un nombre certain d’aménagements infrastructurels, entre autres rendant l’expérience au moins aussi riche que celle d’un pèlerinage à Saint Jacques de COMPOSTELLE.
Pour cela, nous avons proposé le lancement d’une étude, dans le cadre d’une recherche-action seule capable de présenter des pistes concrètes et efficientes.
Ainsi, ce travail répond aux vœux exprimés dans l’Avis du Conseil Economique, Social et Environnemental intitulé « Pour une nouvelle vision de gestion et de valorisation du patrimoine culturel », daté de 2021, lorsqu’il prône qu’il faudra « accorder une attention particulière au patrimoine immatériel :
– en réalisant des monographies régionales pour inventorier les richesses locales en la matière.
– en renforçant sa codification et sa connaissance par des travaux académiques et scientifiques
– en soutenant les porteurs du capital immatériel pour assurer la transmission de ce patrimoine.
– en garantissant un financement national pérenne et diversifiant les sources de financement, en ayant recours au partenariat public-privé et au tiers secteur pour la sauvegarde, la réhabilitation et la mise en valeur du patrimoine.
– en favorisant les projets de mise en valeur du patrimoine culturel matériel et immatériel dans le milieu rural (architecture, ksours, kasbahs, chants, danses, traditions, art culinaire, etc.), notamment dans les zones montagneuses et / ou défavorisées et en les intégrant dans les circuits touristiques culturels.
En somme, le daour, comme patrimoine immatériel selon la définition de l‘UNESCO (2003), est un pèlerinage multifacettes qui mêle spiritualité, culture, agriculture et dynamiques sociales, jouant un rôle crucial dans l’identité de la communauté des Regraga et dans le patrimoine culturel marocain.
Le moment semble ainsi fort opportun pour mener cette recherche-action afin de tirer profit de l’actuelle feuille de route étatique pour le tourisme marocain et aussi glaner, éventuellement, quelques bénéfices, avec l’échéance 2030 et la Coupe du Monde du Football.
En conclusion, la Geste des Regraga a peut-être seulement besoin d’un petit geste pour révéler tout son potentiel socio-économique : apporter une autre ondée de Baraka sur le territoire.
*FPD Safi – Université Cadi Ayyad
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