À la Chambre des conseillers, l’opposition a dressé un constat alarmant sur la situation de l’emploi et de l’investissement au Maroc. Lors de la séance plénière consacrée à l’évaluation des politiques publiques, ses représentants ont pointé la hausse du chômage, la précarité des emplois créés et l’absence de justice territoriale.
« Les indicateurs officiels confirment la progression du chômage, notamment chez les jeunes et les femmes », ont dénoncé les groupes d’opposition. Ces derniers soulignent également que les postes créés, particulièrement dans les zones industrielles franches, restent « précaires, temporaires et dépourvus des critères du travail décent ».
Pour Mbarek Sebai, président du groupe Haraki (Mouvement populaire), le problème réside dans « les dysfonctionnements structurels des politiques publiques, qui privilégient les équilibres macroéconomiques au détriment des priorités sociales et territoriales ». Le responsable s’interroge sur la fiabilité des chiffres officiels avancés par le gouvernement : « La crédibilité des indicateurs se mesure à leur impact réel sur les petites entreprises, les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les citoyens, notamment dans les montagnes et les zones enclavées ».
Sebai dénonce en outre « une confusion entre le développement territorial et le service rendu au territoire », reprochant au gouvernement d’ignorer l’humain dans ses stratégies. Il critique aussi la pression fiscale accrue sur les citoyens et les entreprises, « loin du regard du législateur ». À ses yeux, « l’absence d’écoute du ministère de l’Agriculture et des établissements publics concernés » a privé le rapport du comité thématique de données essentielles.
L’UMT alerte sur la concentration géographique des investissements
Le groupe de l’Union marocaine du travail (UMT) s’est également montré critique : « Trois régions captent plus de 70 % des investissements industriels, accentuant les inégalités territoriales ». L’UMT dénonce une absence de stratégie nationale unifiée pour l’emploi et un manque de coordination entre éducation et investissement. Selon elle, « l’investissement, bien qu’ayant toujours occupé une place centrale dans le modèle marocain, n’a pas permis de créer des emplois décents et durables, malgré les ressources publiques mobilisées et les incitations fiscales ».
Le syndicat appelle à « un pacte social national pour l’investissement », qui lierait les incitations aux créations d’emplois durables et garantirait les droits des travailleurs. Il propose également la création d’un observatoire national de l’emploi et une réforme des programmes de recrutement, en impliquant les syndicats et les collectivités territoriales. « Le travail décent n’est pas une conséquence automatique de la croissance, mais un choix stratégique. Pas de développement sans la dignité du travailleur », martèle l’UMT.
Des engagements non tenus selon l’UNTM
Loubna Alaoui, conseillère de l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), accuse le gouvernement de ne pas avoir respecté ses engagements en matière d’emploi. Elle exige des clarifications sur la méthodologie du Haut-Commissariat au Plan (HCP), après une révision jugée « surprenante » du taux de croissance entre 2022 et 2024, avec un écart de 1,4 %.
Elle estime que « parler d’un taux de croissance de 4 % est irréaliste », soulignant que le FMI et la Banque mondiale tablent sur un taux ne dépassant pas 3 % en 2025 et 2026, alors que le gouvernement vise officiellement 6 %. En 2024, 90 % des entreprises marocaines sont de très petites structures et le pays a enregistré « un record de faillites avec plus de 14.600 entreprises disparues ». Malgré une hausse de 55 % des investissements directs étrangers en 2024, ces flux restent « nettement inférieurs à ceux de 2021 ».
Surtout, elle souligne que « le chômage atteint 13,3 % en 2024 et près de 40 % chez les jeunes », tirant la sonnette d’alarme sur « un contexte économique fragile ». Selon elle, accueillir la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030 impose « des transformations juridiques, institutionnelles et la construction d’une économie fondée sur la connaissance ». Elle a dans ce sens appelé à renforcer l’inspection du travail et exhorte le gouvernement à respecter ses engagements issus des accords sociaux de 2011, 2019 et 2024.
Des investissements sans effet sur l’emploi
Même son de cloche du côté de Lahcen Nazih, coordinateur du groupe de la Confédération démocratique du travail (CDT). Il rappelle que « malgré un volume important d’investissements publics, leur impact sur l’emploi reste faible ». En 2024, le nombre de chômeurs a atteint 1,5 million, dont 61 % de jeunes diplômés. Nazihi déplore que la majorité des emplois proposés ne remplissent pas les critères du travail décent, notamment dans les secteurs du textile, des industries de transformation et de l’agriculture saisonnière.
Pour la CDT, le Maroc doit dépasser « la vision classique » qui limite l’emploi à un simple indicateur chiffré annuel. Elle plaide pour « une stratégie intégrée basée sur la qualité des emplois, la justice territoriale et l’adéquation formation-emploi ». Nazih insiste sur la nécessité de repenser le climat des affaires, non seulement par des réformes légales, mais aussi par la simplification des procédures et le soutien aux PME.
Enfin, la CDT réclame la création d’un observatoire indépendant chargé d’évaluer concrètement l’impact des investissements sur l’emploi et la mise en place d’un mécanisme permanent pour suivre les recommandations des commissions parlementaires. « L’investissement seul ne suffit pas. Il doit viser avant tout la dignité, le travail productif et durable, et intégrer réellement les syndicats et les territoires dans les prises de décision », conclut Nazih.
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