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on - Jun 14 -
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Un quart de siècle après la publication du roman d’Ahmadou Kourouma “Allah n’est pas obligé”, qui raconte l’histoire d’un orphelin devenu enfant-soldat au Liberia, Zaven Najjar en livre une adaptation en animation, présentée en compétition au Festival d’Annecy. Rencontre avec le réalisateur.
Une “vie de merde”, un “bordel de vie”… Birahima ne mâche pas ses mots quand il s’adresse au public pour lui raconter sa courte existence, celle d’un orphelin de Guinée embrigadé comme enfant-soldat au Liberia. Le gamin n’a qu’une dizaine d’années mais maîtrise l’ironie, trimballant avec lui quatre dictionnaires pour enrichir son verbe.
L’histoire de Birahima était née sous la plume de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma et avait séduit en 2000 les jurys du prix Renaudot et du prix Goncourt des lycéens. Un quart de siècle plus tard, Zaven Najjar en livre une adaptation en long-métrage, présentée en compétition cette semaine au Festival international du film d’animation d’Annecy.
Né en France, le réalisateur issu d’une famille d’Arméniens de Syrie et du Liban a grandi en écoutant les histoires de guerre d’une autre région du monde. Pour se documenter sur l’Afrique de l’Ouest, il s’est rendu à plusieurs reprises sur place, prenant un grand nombre de photos et interrogeant des vétérans des guerres civiles du Liberia et de Sierra Leone. Rencontre.
France 24 : Qu’est-ce qui vous a attiré dans le roman d’Ahmadou Kourouma ?
Zaven Najjar : Depuis ses cours de littérature africaine à la Sorbonne, le producteur du film, Sébastien Onomo, rêvait d’adapter le roman. Lorsque nous avons travaillé ensemble sur “La Sirène”, le film de Sepideh Farsi, il m’a parlé de son projet. Or, dans mes films, je traitais déjà de ce type de sujet, notamment dans mon court-métrage “Un obus partout”, qui se passe pendant la guerre du Liban et qui est l’adaptation de nouvelles d’Alexandre Najjar. Il y avait déjà cette idée de raconter un conflit – en l’occurrence une guerre civile là aussi – à travers une histoire avec de l’humour et du décalage, de façon à pouvoir raconter les choses très sérieusement aussi.
C’est ce qui m’a touché dans le roman “Allah n’est pas obligé”. Je retrouvais des choses que j’avais pu entendre dans ma famille, des histoires qui pouvaient être des histoires anodines ou qui commençaient presque comme une blague, et qui, tout d’un coup, devenaient dramatiques et amenaient à réfléchir.
Cet aspect m’avait profondément marqué dans le livre. Ahmadou Kourouma explique et décortique les mécanismes qu’on retrouve dans plusieurs endroits du monde et qui entretiennent ou qui déclenchent ce type de conflits : les interventions étrangères, des enjeux de matières premières, des enjeux politiques… L’idée que le parcours de Birahima puisse être éclairant et amener le spectateur à faire des recherches et à réfléchir au-delà de l’émotion, ça m’intéressait énormément.
Comment avez-vous procédé pour le travail de reconstitution ?
J’ai essayé de rassembler le plus de documentation possible, d’aller sur tous les lieux du roman, de rencontrer des anciens combattants. J’ai réussi à entrer en contact avec un ancien général des Lurd [les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie, principal mouvement rebelle du Liberia, qui a participé à faire chuter le président Charles Taylor, NDLR], et il m’a proposé de me guider et de m’aider dans ma démarche, notamment pour interviewer des acteurs de la guerre civile.
En ce qui concerne les lieux, Ahmadou Kourouma décrit dans son roman des mines d’or. J’ai fait une petite entorse : je suis surtout allé dans des carrières de diamant. Je voulais voir des carrières artisanales, et comment ça fonctionnait à l’époque. Pour l’animation, c’était nécessaire de se renseigner très précisément, d’aller au fond des choses et de rencontrer les personnes idoines.
Adapter un roman au cinéma constitue toujours un défi. Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de l’écriture du scénario ?
Dans le roman, le personnage principal, Birahima, raconte tout à la première personne. Pour le film, c’était un enjeu : il nous a fallu parfois le remettre vraiment au centre de l’action – ça aurait été compliqué s’il avait été trop spectateur.
Un autre enjeu qui me tenait beaucoup à cœur, c’était de retrouver cette façon de parler, ce ton si particulier de Birahima. Dans la structure du roman, c’est très fort. Pour moi, il fallait qu’il y ait de la voix off, c’était impossible de le retranscrire autrement.
Enfin, Ahmadou Kourouma fait des digressions dans l’histoire de Birahima pour apporter des précisions sur des aspects historiques, politiques – et détailler en creux des mécaniques. Je voulais garder ces digressions, mais sans trop m’éloigner de la trajectoire de Birahima. Les dictionnaires qu’utilise le personnage pour raconter son histoire ont constitué un bon outil pour créer ces séquences.
Les rappels historiques me paraissaient cruciaux : dans ce genre de conflits, les histoires personnelles et l’histoire politique sont totalement liées. Quand on suit le parcours de Birahima et qu’on est pris dans l’émotion de ce qui lui arrive, ces séquences donnent les raisons de cette trajectoire. Et ça amène à réfléchir.
Comment avez-vous choisi de traiter la représentation de la violence ?
Je m’étais dit que si on voyait de la violence à l’image, il fallait que ce soit vraiment lié à l’histoire, aux personnages, à des moments clés du film, et surtout pas que ce soit quelque chose de gratuit ou de sensationnaliste. Il ne fallait pas non plus cacher la réalité du conflit, il y avait un équilibre à trouver.
Le roman comportait aussi beaucoup d’humour et d’ironie, qu’il fallait absolument retranscrire. Dans la manière dont est construit le film, les moments durs, qui peuvent être tristes, sont parfois collés à d’autres moments où il y a plus de légèreté, avec là aussi de l’humour ou de l’ironie.
Comment avez-vous trouvé la voix pour l’interprétation de Birahima, SK07, un jeune rappeur ivoirien ?
SK07 est une personnalité en Côte d’Ivoire, il est connu depuis qu’il est tout petit – il avait fait le buzz avec un clip génial. Quand nous avons enregistré les voix, il avait 11 ou 12 ans. Et son talent a infusé partout. C’était formidable pour moi de travailler avec un acteur comme lui, capable d’incarner le personnage avec subtilité et émotion, de parfois improviser et d’assurer la voix off. C’était un tel défi de trouver un jeune acteur qui puisse jouer ce personnage que ça a été extraordinaire de le rencontrer.
France 24
L’article Festival d’Annecy : “Allah n’est pas obligé”, l’itinéraire d’un enfant-soldat au Liberia est apparu en premier sur Sud Quotidien.