Depuis vendredi 13 juin à l’aube, l’Iran est attaqué par Israël. La défaillance de l’État oblige les habitants à s’organiser eux-mêmes. Non seulement rien n’est fait pour les protéger, mais le régime continue à réprimer.
L’annonce par le gouvernement d’une ouverture 24h sur 24 du métro de Téhéran pour abriter les Iraniens le souhaitant semble finalement être restée lettre morte. Le lendemain, les portes du métro de la capitale étaient closes : « En temps normal déjà, le métro a du retard et il est bondé. Il est impossible pour eux de gérer la foule », affirme Vahid* « En plus, il n’y a que dix lignes de métro et certaines stations sont à au moins 8 km de nos quartiers », ajoute-t-il.
Sur les réseaux, les habitants se partagent des conseils de sécurité et proposent des lieux d’hébergements gratuits pour celles et ceux qui ont perdu ou fui leur logement. Contrairement à Israël, l’Iran n’a pas d’abris anti-missiles dans tous les quartiers et encore moins des abris partagés dans un même immeuble. Sur le réseau social X, un internaute a partagé l’adresse de quatre abris souterrains à Téhéran et a précisé qu’il semblerait qu’il existait encore 290 abris datant de la guerre Irak-Iran. Mais les Iraniens ne semblent pas connaître ces lieux : « Il n’existe pas d’abris », assure pour sa part Vahid.
Par ailleurs, aucune sirène ne retentit en Iran pour alerter la population avant un bombardement. Les Iraniens se sentent livrés à eux-mêmes. Alors même que la République islamique affirmait toujours vouloir en découdre avec Israël, rien ne paraît avoir été préparé pour protéger la population en cas d’attaques. « Les avions d’Israël sont 24h/24 dans le ciel iranien, on dirait que c’est leur propre pays », assure Reza, resté à Téhéran pour s’occuper de sa mère âgée. Après six jours de guerre, le pays compte déjà 639 victimes et 1 329 blessés, selon un décompte de HRANA News à partir de sources non gouvernementales. Le dernier bilan officiel du ministère iranien de la Santé est de 224 morts et plus d’un millier de blessés.
Pénurie d’énergie
Ceux qui ont décidé de quitter la capitale, qui croule sous les bombes, se sont retrouvés coincés dans un important trafic routier. Les pénuries d’essences entraînent également des files interminables aux stations essence et pourraient rapidement provoquer des difficultés de transports de marchandises, notamment d’alimentation. Les frappes israéliennes sur les installations énergétiques (gaz et pétrole) du pays risquent d’aggraver encore plus la situation énergétique de l’Iran, déjà précaire avec des coupures de courants régulières ces derniers mois. Or ces coupures et la pénurie d’eau risquent aussi d’avoir des conséquences sur la santé des Iraniens. Sans compter les risques que comportent les attaques israéliennes sur les installations nucléaires.
Ces derniers jours, les prix ont encore augmenté, la valeur de la monnaie iranienne a de nouveau chuté : « Les gens ont peur, ils changent leur argent pour des devises et de l’or. Mais les bureaux de change sont en majorité fermés », raconte Reza. Depuis lundi, le bazar de Téhéran, poumon économique du pays, est également clos. « Ce soir [lundi soir, NDLR], je suis allée acheter du lait pour ma mère. Normalement, à cette heure-ci, l’épicerie est pleine de monde, mais là, il n’y avait pas un chat. Dans les immeubles autour de moi, il n’y a plus personne non plus. Le carrefour Aladdin où se trouvent les vendeurs de téléphonie à Téhéran et qui voit passer environ 1 million de personnes par jour a aussi fermé », explique Reza. L’économie est à l’arrêt, la banque nationale Sepah Bank a subi une cyberattaque israélienne et « les cartes bancaires ne fonctionnent plus », indique Nazila Maroofian, journaliste et activiste iranienne arrêtée lors du mouvement « Femme vie liberté » et réfugiée à Strasbourg (nord-est de la France). « Je ne pense pas que le gouvernement nous ait abandonnés, mais je crois qu’ils sont juste incapables de protéger la population. Le conflit a lieu entre des forces totalement inégales », estime Vahid.
Huis clos et répression
Depuis mercredi, les nouvelles de leurs proches se font rares sur les téléphones des Iraniens installés à l’étranger. Selon netblocks.org, l’accès à l’internet mondial a en effet été totalement coupé en Iran. « Ils [les autorités, NDLR] ne veulent pas que l’information soit diffusée », affirme Afsaneh Salari depuis Berlin. Mais ce huis clos rend la population plus vulnérable, car bien qu’affaibli, le régime continue de réprimer.
Ali Pakzad, journaliste du quotidien Shargh, un média considéré comme réformiste, avait en effet été arrêté pour avoir voulu rendre compte de la situation suite à la frappe israélienne à la télévision d’État (Seda o sima). Il a ensuite été relâché. Mais le régime a également procédé à d’autres arrestations, comme celle de Sajad Mashhadi Hemmatabi, arrêté à Mashhad et transféré dans un lieu inconnu, selon HRANA News, et celle de l’activiste Motahareh Goonehi, récemment libérée de la prison d’Evin et arrêtée à nouveau le 14 juin. Le rappeur iranien Toomaj Salehi, condamné à mort pour sa participation au mouvement « Femme vie liberté » en 2022, puis libéré sous caution, a lui aussi été arrêté ce jeudi, peut-on lire sur les réseaux sociaux. Il aurait été libéré au bout de quelques heures.
Ce jeudi encore, le commandant de la police de l’ouest de Téhéran a annoncé l’arrestation de 24 personnes pour espionnage au profit d’Israël et pour avoir cherché « à perturber l’opinion publique ainsi qu’à ternir et détruire l’image du système sacré de la République islamique d’Iran ».
L’article Face aux bombes israéliennes et à la défaillance de l’État, des Iraniens livrés à eux-mêmes est apparu en premier sur Sud Quotidien.