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L’actualité économique récente du Sénégal est marquée par une vive controverse concernant la supposée « dette cachée » de l’État. Alors que des interrogations émergent sur la transparence des engagements financiers publics, il devient essentiel de clarifier les termes du débat afin d’éviter les amalgames et de préserver la confiance des citoyens comme des partenaires internationaux. L’expression « dette publique cachée », désormais largement utilisée, est
souvent mal comprise, alimentant une confusion entre une dette « dissimulée » – relevant d’une fraude ou d’une opacité volontaire – et une dette « cachée » au sens technique, sans intention de tromperie
Il est toutefois essentiel de comprendre qu’une dette souveraine dite « cachée » ne signifie pas nécessairement que l’État a sciemment dissimulé des engagements financiers. Il faut distinguer la dette publique « cachée », souvent liée à des facteurs techniques ou comptables, de la dette « dissimulée », qui implique une intention de fraude ou d’opacité. La nuance peut sembler subtile, mais elle est essentielle : elle permet de faire la part des choses entre une irrégularité technique et une véritable volonté de tromper.
En économie, la notion de dette souveraine cachée (ou hidden public debt) renvoie à des engagements financiers qui ne figurent pas dans les comptes officiels de l’État, mais qui peuvent, à terme, constituer une charge réelle. Il ne s’agit donc pas forcément d’un acte de dissimulation. C’est une réalité comptable connue dans presque tous les pays, y compris les plus développés. Aucun pays n’échappe à ce phénomène : la quasi-totalité des États ont, à un
moment donné, connu des situations de dettes cachées.
Les situations de sous-évaluation de la dette souveraine peuvent avoir des origines variées, qui ne relèvent pas nécessairement d’un déficit de transparence. Une partie de la dette publique dite ‘cachée’ peut résulter de règles comptables qui n’intègrent pas certains engagements de l’Étatdans la dette officielle. Par exemple, une garantie accordée par l’État à un emprunt contracté par une entreprise publique n’est pas enregistrée comme dette tant qu’elle n’est pas activée, c’est-à-dire tant que l’entreprise honore ses remboursements. Ce type d’engagement,
conditionnel par nature, reste alors inscrit hors bilan, sans apparaître dans les statistiques officielles de la dette publique. En France, la dette d’EDF — dont l’État est actionnaire majoritaire — ou celle de la SNCF avant sa reprise partielle en 2020, illustrent ce mécanisme.
Il en va de même pour certains partenariats public-privé (PPP), ou encore les emprunts des collectivités locales, qui ne sont pas toujours consolidés dans la dette publique nationale. Encore une fois, ces situations ne relèvent pas d’une dissimulation frauduleuse, mais bien de conventions comptables. À l’inverse, une dette dissimulée implique une volonté de maquillage ou de falsification. L’exemple bien connu de la Grèce, ayant utilisé des montages financiers
avec Goldman Sachs pour réduire artificiellement son niveau d’endettement avant son entrée dans la zone euro, relève clairement de cette seconde catégorie.
Dans ce contexte, le débat qui agite actuellement le Sénégal mérite d’être abordé avec lucidité. L’utilisation, par la directrice du FMI, de l’expression hidden public debt n’avait rien d’accusatoire : il s’agit d’un terme technique, et non d’un jugement moral. L’interpréter comme une dénonciation de fraude ou de mauvaise foi serait excessif. Il convient également de rappeler que l’intérêt exprimé par le FMI pour mieux comprendre la situation n’a rien d’anormal. Tout
créancier cherche naturellement à disposer d’informations fiables afin de mieux évaluer le risque de crédit — un enjeu bien connu en théorie bancaire sous l’angle des asymétries d’information. L’institution cherchait simplement à clarifier les mécanismes par lesquels l’État sénégalais peut prendre des engagements hors bilan, c’est-à-dire des engagements potentiels qui ne figurent pas dans la dette officielle. À cet égard, le FMI s’est déclaré satisfait de la
coopération et de la transparence des autorités sénégalaises.
En revanche, la gestion de la communication publique pose question. En voulant faire preuve de transparence – ce qui est à saluer -, les autorités ont peut-être diffusé trop rapidement des informations sensibles, sans préparation suffisante. Résultat : une perte de confiance des agences de notation, une dégradation de la signature souveraine, et une pression accrue sur les finances publiques. Ce cas rappelle qu’en matière de finances publiques, la transparence est une exigence, mais qu’elle doit s’accompagner d’une stratégie de communication. Être honnête ne suffit pas ; encore faut-il savoir comment et quand partager l’information dans un contexte international où chaque déclaration peut avoir des conséquences financières concrètes.
Il est donc crucial de ne pas confondre dette cachée phénomène comptable fréquent et dette dissimulée faute grave. Et surtout, de maintenir un débat serein, rigoureux et responsable, afin de préserver la crédibilité financière du pays tout en respectant l’exigence de transparence démocratique.
François Seck FALL, Économiste,
Professeur des Universités à l’Université de Toulouse
Directeur du LEREPS (Laboratoire d’Étude et de Recherche sur l’Économie, les Politiques et les
Systèmes Sociaux).
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