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Dans un monde où l’algorithme a remplacé le miroir, et où la validation sociale tient dans un like bien dodu, le Sénégal n’échappe pas à la grande messe planétaire de la chirurgie esthétique. Les bouches se gonflent, les fesses prennent du galon, et les ventres disparaissent comme par magie… ou plutôt par scalpel. Bienvenue dans l’ère de la renaissance sous facturation, souvent sans garantie de reprise, ni service après-découpe au scalpel.
À première vue, rien de plus banal que de jeunes femmes montant dans un vol à destination d’Istanbul, Tunis ou New-York, sac Louis Vuitton (version fake), passeport serré contre le cœur, et rêvent d’avoir « la silhouette vue sur Instagram ». Elles quittent le pays, seules, direction une clinique au nom plein de promesses : « Body Perfect », « Clinique Renaissance » ou « Beauty Empire ». Elles s’envolent ainsi vers des oasis artificielles de beauté, pour subir ce qu’on appelle une liposuccion, une rhinoplastie, une augmentation mammaire ou un lifting brésilien des fesses (ou Brazilian Butt Lift), une technique qui consiste à aspirer la graisse du ventre pour la réinjecter dans les fesses. En résumé : on leur pompe le gras pour les leur remettre là où leur ego pense que leur avenir se joue. Le plus ironique ? Ces cliniques « miracles » promettent souvent une transformation physique garantie, mais oublient de préciser que la chirurgie esthétique ne guérit ni l’estime de soi, ni les complexes, ni les commentaires perfides de badiène Khady lors des cérémonies familiales.
Là-bas, elles sont accueillies par un traducteur approximatif, une feuille de consentement en turc, en arabe, en russe ou en anglais, qu’elles signent comme on signe un chèque en blanc, et un médecin dont le diplôme est plus difficile à trouver qu’un rendez-vous au service d’un hôpital public sénégalais.
Anesthésiées et abandonnées, elles se réveillent parfois avec la poitrine d’une autre, un postérieur différent, ou un ventre si plat qu’il semble avoir aspiré leur dernier bon sens. Le souci ? Parfois, ce n’est pas qu’un bout de graisse qui a disparu. Certaines se plaignent de douleurs inexpliquées, d’irrégularités organiques… et des médecins locaux qui soupçonnent qu’il arrive que l’on profite de leur anesthésie pour leur prélever un rein, un ovaire, et un … peu de dignité en prime.
Ces suspicions restent difficiles à vérifier, entre la honte des victimes et l’absence de recours juridiques. Les contrats ? Signés dans une langue étrangère. L’assurance ? Inexistante. Le chirurgien ? Injoignable. Les photos avant-après ? Spectaculaires, sauf quand il faut cacher les cicatrices avec un filtre sur Snapchat. Pourtant, le business prospère. Sur les réseaux sociaux, les agences de voyages rivalisent de forfaits « Tout compris : vol + liposuccion + hôtel 3 étoiles + pansements stériles ». Les influenceuses, nouvelles prêtresses de la silhouette parfaite, étalent leurs nouveaux corps millimétrés sur tik tok.
En parallèle, les faits divers s’empilent comme les couches de silicone : hémorragies, infections, chocs septiques, malaises, femmes ramenées sur des brancards en classe économique avec comme seule compagnie un coussin anti-pression. Certaines n’en reviennent tout simplement pas. Littéralement.
Un médecin sénégalais, qui a déjà récupéré les dégâts laissés par des aventures chirurgicales, confie : « On recoud, on désinfecte, on tente de sauver ce qui reste. Mais dans certains cas, c’est leur vie qui est en jeu. » Il évoque une patiente ayant perdu l’usage d’un bras après une liposuccion ratée. À ce rythme, on se demande si ce n’est pas le cerveau qu’on leur a aspiré au passage.
Mais comment leur jeter la pierre ? À force d’être bombardées de standards où la femme parfaite est une version photoshoppée d’une quelconque chipie vedette sur le Net, certaines finissent par croire que le bonheur passe par un passage chez le chirurgien. Les réseaux sociaux martèlent : « Si tu ne t’aimes pas, change-toi. » Et le Sénégal, comme le reste du monde, a décidé de s’exécuter.
Résultat. Une course à la retouche corporelle, où la santé devient un détail, et la douleur, un passage obligé pour mériter le regard approbateur d’un homme qu’elles ne rencontreront peut-être jamais. Le plus cocasse ? Après l’opération, plusieurs doivent réapprendre à marcher, dormir sur le ventre pendant deux mois, ou porter des gaines compressives pendant des semaines. La souffrance est au programme, mais que ne feraient-elles pas pour quelques stories biens cadrés ?
Et puis, il y a ces moments tragi-comiques du retour au pays. L’une d’elles a raconté qu’à l’aéroport Blaise Diagne, l’agent des douanes ne l’a pas reconnue. Pas pour une question de faux papiers, non. Mais parce que la photo du passeport appartient à une ancienne version d’elle-même. En quittant Dakar, sur la photo du passeport, c’était une femme aux traits doux, aux joues et aux lèvres naturelles. Celle-là avait disparu. Au retour, après un séjour plus long que prévu, elle arborait des pommettes saillantes, un menton taillé comme une pièce d’échiquier, et une bouche qui donnait l’impression d’avoir sucé une ruche entière. A la maison, son fils, après l’avoir regardée et scrutée de bas en haut lui a demandé, hésitant : « maman, c’est toi ? ».
À force de vouloir ressembler à un filtre, certaines finissent par se défigurer. Le plus frappant, c’est qu’elles ne se reconnaissent plus elles-mêmes. Dans le miroir, c’est une étrangère qui se regarde. Et parfois, ce miroir devient un adversaire. Les selfies s’enchaînent, jamais satisfaisants. Une retouche en appelle une autre. Une « petite injection de botox » entraîne une rhinoplastie, qui mène à un lifting du cou. Elles deviennent accros. Au final, on croirait voir une galerie de visages générés par intelligence artificielle. Le seul muscle qu’elles n’ont pas fait travailler, c’est bien l’estime d’elles-mêmes.
Et les conséquences sont aussi sociales que physiologiques. Certaines marchent comme des manchots empâtés, post-opération oblige et le postérieur nouvellement importé, refuse de s’adapter au mobilier sénégalais.
À vouloir séduire le monde entier, elles se perdent elles-mêmes. Et à chercher la beauté dans un bistouri, elles oublient que le plus bel organe d’une femme, ce n’est ni ses fesses, ni ses seins, mais bien sa capacité à s’aimer entière et vivante. Bref, à force de vouloir s’améliorer, certaines finissent par disparaître derrière une version fantasmée d’elles-mêmes. Ce n’est plus une transformation, c’est une disparition. Un hold-up esthétique où l’identité est la première victime. Et pendant ce temps, les cliniques encaissent, les réseaux glorifient, et le bon sens observe… en silence.
Des maris commencent à se plaindre. Non pas de la transformation, mais de l’ambiance post-opératoire : trois mois sans relations intimes, six mois de bandages compressifs, et une épouse transformée en créature bionique qui gémit à chaque mouvement. Et puis, surtout, cette impression troublante de dormir avec quelqu’un d’autre.
En attendant, les vols vers les paradis du scalpel low cost continuent de décoller. Et les femmes sénégalaises, à la recherche d’un nouveau nez, d’un menton saillant ou d’un popotin qui fait klaxon, y vont le cœur gonflé à bloc, espérant qu’à leur retour, le reste le soit tout autant.
Il est temps de lever la voix. Les collectifs de médecins, les associations féminines, les journalistes, ont le devoir d’appeler à la vigilance, plaider pour des campagnes de sensibilisation, et surtout un retour à l’amour de soi, ce vieux concept passé de mode mais toujours efficace, et gratuit.
Pendant qu’elles soufflent sur leurs cicatrices comme on souffle sur une bougie d’anniversaire ratée, le bistouri, lui, continue son tour du monde. Il promet des tailles fines, mais taille aussi les économies, les organes… et parfois la vie. Au fond, la vraie chirurgie à faire, c’est peut-être celle de l’égo. Mais bon, ça, aucune clinique ne le propose encore. Et surtout, ça ne donne pas 10.000 likes sur Instagram.
Mesdames, avant de réserver un vol pour un ventre plat et des fesses aériennes, pensez à réserver un peu d’estime de soi. Si vous êtes faites en 3D naturelle, ce n’est pas pour finir version plastique made in Istanbul, New York ou Tunis. Faites-vous un lifting du cerveau, c’est moins risqué et ça ne nécessite pas de gaine post-opératoire. Et souvenez-vous : les vraies reines n’ont pas besoin de silicone pour briller, juste d’un bon éclairage intérieur. C’est largement suffisant.
Par Henriette Niang Kandé
L’article Chronique de l’improviste Sculptées, liftées, perdues : plongée dans une beauté sous anesthésie est apparu en premier sur Sud Quotidien.